RACINES

Au coeur de ce pays qui regarde la mer

S'élève une forêt d'arbres majestueux

Qui avaient pris pour chef le plus beau, le plus fier,

Le plus grand d'entre tous : un chêne vigoureux.

 

Son tronc robuste s'élançait droit vers l'azur,

Ses rameaux étendaient leur ombre tutélaire

Sur les sous-bois, et procuraient un abri sûr

Au merle et à la grive, au hibou solitaire.

 

Ses glands délicieux rassasiaient le sanglier,

Le lierre prospérait sur son écorce brune.

Sous ses branches, le cerf venait se réfugier,

Sa sève nourrissait le gui couleur de lune.

 

Sous ses feuilles, les druides célébraient leurs cultes

Et les rois s'asseyaient pour rendre la justice.

Les guerriers s'embusquaient quand grondait le tumulte,

Les amoureux échangeaient des baisers complices.

 

La paix du bois sacré fut brisée un matin

Par des envahisseurs jaloux vêtus de fer

Qui, rêvant de pillage et de riche butin,

Convoitaient le pays qui regarde la mer.

 

Tel un aigle fondant sur sa proie sans défense,

Ils surgirent d'un coup, torrent dévastateur,

Ne laissant derrière eux que ravage et souffrance,

Ignorant la pitié, sourds aux cris de douleur.

 

Le chêne vigoureux suscita leur envie :

Ils l'attaquèrent à la hache avec fracas.

S'usèrent les cognées, s'ébrèchèrent les scies,

Trois jours il leur fallut pour le jeter à bas.

 

Les barbares, leurs odieux forfaits accomplis,

Quittèrent le pays qui regarde la mer.

Par le vol enrichis, par le crime avilis,

Regagnèrent leur terre où dominait l'hiver.

 

Même abattu, le chêne demeurait si beau

Que les brutes, admirant ses robustes branches,

Son tronc massif, la majesté de ses rameaux,

N'avaient point coeur à le voir débité en planches.

 

Ils le plantèrent près du palais de leur roi,

Loin, trop loin du pays qui regarde la mer.

Vivant portrait d'un souverain dictant sa loi,

Le chêne se dressa, défiant le vent amer.

 

En moins d'une semaine, hélas ! il dépérit.

La bise lui vola ses feuilles jaunissantes,

L'écorce tomba en lambeaux du tronc pourri,

Vivant portrait d'une dynastie expirante.

 

Les hommes assistaient, maudissant leur malchance,

Au déclin du géant rongé par la vermine.

Ils avaient méconnu cette simple évidence :

Un arbre dépérit, privé de ses racines.

 

Toi qui viens du pays qui regarde la mer,

De te laisser couper tes racines, prends garde !

Mais garde le front haut, car tu dois être fier

D'être né au pays des héros et des bardes.

 

Enrichis ton esprit, cultive ta mémoire

En puisant à la source où burent tes aïeux.

Maintiens vivants leurs us, leur langue, leur histoire,

Pour t'épanouir et vivre pleinement heureux.

 

Si tu as pour bannière un drapeau blanc et noir,

Si le dragon rouge est l'emblème qui te guide,

Si c'est la harpe d'or, la couleur de l'espoir,

Si tu viens du pays des héros et des druides...

 

Ne perds jamais de vue quelle est ton origine

Quand par le vaste monde tu prendras ta course.

Sois l'arbre assimilant le suc de ses racines,

Sois le saumon retournant toujours à la source.

 

Au coeur de ce pays qui regarde la mer,

Est une vieille souche aux racines profondes.

A ses côtés, éclos au sortir de l'hiver,

Un germe vert jaillit de la terre féconde.

 

Signe de renouveau, d'un avenir meilleur,

Germe porteur d'espoir, sois la vivante image

De tous ceux qui, aimant leur pays, ont à coeur

De préserver leurs racines et leur langage.